l y a très longtemps de cela, une reine vivait dans la Corne de l’Afrique. Un jour, son royaume fut attaqué de toutes parts à la fois. Elle réussit à échapper à ses ennemis par miracle et alla se réfugier dans les montagnes du nord-somali. Là, en larmes, elle supplia son dieu de lui offrir un cadeau qui la consolerait de la perte de ses enfants et de ses terres. Alors, partout où ses larmes étaient tombées, des arbres aux gommes odorantes se mirent à pousser. » Mythe somali d’origine de l’encens De nos jours, les myrrhes et encens n’évoquent pas seulement un passé légendaire et glorieux.
Leurs usages sont toujours quotidiens. La production régionale continue d’alimenter des filières internationales et demeure pour les terres arides une ressource écologiquement adaptée et économiquement essentielle. La Corne de l’Afrique recèle au sein de ses régions les plus inhospitalières des trésors recherchés depuis la plus haute Antiquité : des résines dotées de subtils arômes, la myrrhe (Commiphora) et l’encens – ou oliban – (Boswellia). Objets d’un commerce ancien,
elles embaument à travers le monde les édifices religieux, entrent dans la composition de cosmétiques et de médicaments plus ou moins élaborés, ou encore sont mâchées pour parfumer l’haleine. Si leurs usages sont relativement connus, ainsi que l’histoire des fameuses « routes de l’encens », peu de recherches se sont intéressées aux communautés humaines qui exploitent ces plantes. Nous tenterons ici de faire le point des connaissances actuelles sur les myrrhes et les encens de la Corne de l’Afrique et d’éveiller la curiosité du lecteur sur les aspects qui restent encore à explorer.
Myrrhes et encens : un complexe d’espèces végétales
Dans la famille des Burséracées, les Commiphora et les Boswellia sont les plus illustres des plantes aromatiques. Elles fréquentent les zones arides de l’Asie occidentale et de l’Afrique. Les espèces sont particulièrement nombreuses dans le sud de la péninsule Arabique, où elles forment des peuplements plus ou moins denses. Il arrive souvent que les deux genres partagent le même territoire avec divers Acacia àgomme (COPPEN, 1995 ; CHIKAMAI et al., 2000) On trouve aussi des Boswellia et des Commiphora dans toutes les régions de la Corne de l’Afrique, mais en moins grand nombre au-dessous de 700 m d’altitude. En Éthiopie, certaines espèces montent jusqu’à 2 000 m (GÖTTSCH, 1986).
Dans la péninsule Arabique comme en Somalie, les peuplements concentrés de Boswellia se trouvent sur les piémonts à quelques kilomètres de la côte, où ils sont arrosés par les moussons (MONOD, 1979 ; THULIN etWARFA, 1987). Ils se prolongent en Érythrée, dans la province éthiopienne du Tigré et auSoudan. Des Boswellia se mêlent aux Commiphora dans l’Ogaden éthiopien et aux abords du Kenya, les seconds étant prédominants vers la Somalie (ANSEL, 2002). « Les résines connues sous les noms de Myrrhe et d’encens ne proviennent pas d’une seule espèce mais de plusieurs groupes d’espèces. La floraison de ces arbres (hauts d’une dizaine de mètres au maximum) est généralement discrète et fugace et leur feuillage tombe souvent très rapidement sous l’effet de la sécheresse. C’est pourquoi ils sont difficiles à identifier. » (MONOD , 1979). Leur nomenclature comporte de nombreuses obscurités et synonymies. Des débats de spécialistes sur l’identité botanique de telle ou telle résine sont fréquents. On sait maintenant que Boswellia sacra et B. carteri ne sont qu’une seule et même espèce (THULINet WARFA, 1987), mais l’identité botanique de la myrrhe douce ne fait toujours pas l’unanimité (THULINet CLAESON, 1991).
Commiphora myrrha et Boswellia sacra sont la myrrhe et l’encens véritables. La résine de Commiphora myrrha est appelée myrrhe amère, pour la distinguer de C. guidottii, la myrrhe douce (ou bdellium, commercialisée sous le nom d’opopanax. Boswellia sacra, dit « oliban Aden » sur les marchés internationaux, se distingue difficilement de B. papyfera, dit « oliban Érythrée », aux caractéristiques proches, et plus clairement de B. frereana, l’encens à mâcher. Commercialement, la résine de chaque espèce est mêlée à des résines d’espèces mineures aux caractéristiques similaires. Espèces commerciales de myrrhes et d’encens.
Espèce | Localisation | Noms communs ou commerciaux | Noms locaux | Espèces |
principale | mineures | |||
associées | ||||
Boswellia | Yémen, | Encens (d’Arabie) | Beyo (arbre : moxor madow) (S) Lubân (arbre : mughur) (Ar) | B. bhau-dajiana |
sacra | Oman | Oliban Aden | (beyo) (arbre : | |
(syn. B. | Somalie N | moxor add) | ||
carteri) | ||||
Boswellia | Somalie N | Encens (à mâcher) | Meydi (arbre : yegcar) (S) Lubân lami (Ar) | |
frereana | ||||
Boswellia | Éthiopie, | Encens | Yä- Tigray etan (arbre : yä-etan zaf) (Am) | B. rivae |
papyfera | Érythrée, | Oliban Érythrée | B. pirotae | |
Soudan |
Commiphora | Yémen, | Myrrhe amère | Mal-mal (arbre : | C. africana |
myrrha | Somalie, | Heera bol (I) | dhidin) (S) | C. abyssinica |
Éthiopie, | Mur (Ar) | |||
Kenya | C. schimperi | |||
Kerbe (Am) | ||||
Commiphora | Somalie | Myrrhe douce, | Xabak xadi (S) (prononcé habak hadi) | C. holtziana |
guidottii | bdellium, opopanax | (habak hagar) | ||
(ou C. | Bissa bol (I) | C. kataf | ||
erythrea | ||||
var. | ||||
glabrescens | ||||
?) |
I = langue de l’Inde Ar : arabe (sud-arabique), Am : amharique, S = somali
Production par pays d’espèces commerciales de myrrhes et d’encens.
Somalie | Érythrée | Éthiopie | Soudan | Kenya | |
Boswellia carteri ( = sacra) B. frereana | + | + | + | + | + |
B. ogadensis Commiphora myrrha C. guidottii | + | + | + | ||
+ | + | + | |||
Boswellia papyfera | |||||
+ | + | + | |||
B. rivae (yä-Borena etan | |||||
+ | + | ||||
B. pirotae | |||||
+ | + | ||||
B. neglecta | |||||
+ | |||||
B. microphylla | |||||
+ | |||||
C. africana | |||||
+ | |||||
C. abyssinica C. schimperi C. kua | |||||
+ | |||||
C. kataf | |||||
+ | |||||
Commiphora holtziana | |||||
+ | |||||
B. bhau -dajiana | |||||
+ | |||||
C. erythrea var. , glabrescens |